dimanche 21 août 2011

Waterloo Bridge – Panic


Il y a plus de deux semaines, les insurrections se sont multipliées dans le Londres populaire. Telle une journée nationale de la gratuité, les adolescents londoniens allaient se servir abondement dans les magasins qu’ils affectionnent. Une paire de sneakers chez Foot Lockers et une bouteille de rosé chez Tesco piqué à la sauvette ; on n’aurait pas été étonné de les voir désintégrer la vitrine d’un cinéma pour se faire une toile gratuite. La fièvre avait même contaminé les quartiers plus huppés que sont Camden, Oxford Circus et Sloane Square. Dans la perfide Albion, ce qui pourrait apparaître comme un accident n’est en fait pas si extraordinaire. On pense surtout au carnaval de Notting Hill qui s’enflamme en 1976 et Brixton partant en sucette en 1981. D’un point de vue musical, les artistes indés n’ont jamais été les derniers pour allumer la mèche.  Retour rapide sur un titre à la douce fragrance de gaz lacrymal.   




Eté 1986, Michael Jackson signe un contrat de 15 millions de Dollars avec Pepsi et les albums de Madona (True Blue) et Genesis (Invisible Touch) campent en haut des charts britanniques. Morne!  C’est également le moment où The Smiths décide de réaliser un titre détonateur : Panic. Enregistré dans le London's Livingston Studios, six mois après le séminal The Queen Is Dead, Marr et Morissey accouchent cette mélodie enfantine assaisonné de lyriques aiguisées. La plume de Morissey voit des émeutes se propager dans toutes les grandes villes du Royaume-Unis avant de condamner à mort les DJs mainstreams. Le quartet mancunien voulait montrer doigt les artistes pop fm comme Wham! qui ne se souciaient guerre d’écrire des titres engagés ou en relation avec la vie des Anglais.



Pochette de Panic: Richard Bradford de la série Man In Suitcase

Il n’a pas été facile pour The Smith d’enfanter ce single. Le quatuor ressentait une frustration grandissante envers leur label Rough Trade. En 1983, Geoff Travis, fondateur du label indépendant, s’était lancé dans son premier contrat à long terme en les signant pour quatre albums. N’arrivant jamais à atteindre le firmament des charts, The Smiths stagne et colère. Morissey y voit un manque de professionnalisme de la part du label Ouest Londonien et décharge sa verve énervé sur la bande à Travis. Une chanson en tantinet burlesque Frankly, Mister Shanckly verra le jour et le groupe casse des rochers de sucres sur le dos de Rough Trade. 


Suite à l’excellent Queen is Dead, le groupe retourne en studio. Les sessions d’enregistrement sont constamment interrompues par d’impromptues visites d’avocats voir des gueulantes entre Morissey et son producteur. Marr, pourtant garçon cool, devient angoissé. Histoire d’enterrer définitivement l’ambiance, le bassiste Andy Rourke est sacqué du groupe pour cause d’un trop fort taux d’opioïde dans le sang. Après six mois de disputes d’égos, de stress et autres guerres intestines, le groupe se décharge du single Panic. La bombe tombe à pic puisque Panic restera huit semaines à la onzième place des charts britanniques et sera élue titre de l’année 1986 par le New Musical Express.   

Si The Smiths n’a jamais été number ouane, le groupe mancunien a su garder cette qualité constante d’écriture et de développer le son le plus intéressant des années 80.



Bonus :
The rioting playlist: 

Hard-Fi – Suburban Knights
The Dead 60’s – Riot On The Radio

NTM – Qu’est-ce qu’on attend

The Clash – London’s Burning 

Redskins – Lev Bronstein

The Smiths – Sweet & Tender Hooligan   


Sonic Youth – Teenage Riot


Junior Murving - Police and Thieves


The Specials – Ghost town

Arctic Monkeys – Riot Van

mercredi 3 août 2011

Wapping – Ghost Town


‘Vers les docks ou le poids et l'ennui me courbe le dos’ auraient pu chanter les Specials en tournant la dernière scène du vidéo clip de Ghost Town. C’est sur les quais de Wapping, à l’Est de Tower Bridge, que le groupe s’amuse à faire des ricochets sur Tamise histoire de conclure une nuit de tournage magique. La dernière parenthèse enchantée avant le hiatus du groupe. Ghost Town…30 ans déjà!



La principale force du groupe et éventuellement sa pire faiblesse, c’est son mélange détonnant de personnalités. Horace Gentlemen (basse), Terry Hall (chant) et John Bradbury représentent les anglais blancs issus de la classe moyenne*, Neville Staple (chant) le rude boy des rues, Lynval Golding (guitare) le jamaïcain emplie de sagesse et enfin Jerry Dammers, le génie ahurit, ultra politisé et artiste.


Si l’enregistrement du premier album roule comme sur des roulettes sous la direction d’un Dammers inspirés et avec Elvis Costello ultra motivé derrière les manettes ; le second LP, lui, croisera plus de conflits internes. ‘More Specials sonne comme un groupe qui se désagrège’ avoue Terry Hall lors d’une interview avec Uncut (Août, 2011). Les membres se font allégrement la nique et Jerry n’est pas le dernier pour pousser le bouchon. 1980, année épuisante pour le groupe et le claviériste se plait à demander des Hôtels de seconde zone lors des tournée aux Etats Unis, se trimbale dans les loges avec un ghetto-blaster jouant PIL à fond et commence à tourner le dos au ska pour s’intéresser au muzak. Terry hall, quand à lui, rêve de faire de la pop bubble gum et le bassiste Gentlemen s’enrôle dans la secte d’Exegesis. Autant dire que l’ambiance est morose au sein du groupe! Pour couronner le tout, le bonhomme de Lynval Golding se fait charger par des nazillons à la sortie du Hampstead Moonlight Club alors qu’il avait une fille blanche pour chaque bras. Par la suite, le guitariste jamaïcain écrira le titre Why ? ou il parle de la stupidité, du racisme et de la violence. Le titre figurera en face B du dernier single de The Specials : Ghost Town.

A l’image de The Specials, la santé du Royaume Unis est aussi convalescente.  1981, l’Angleterre est dézinguée par le second choc pétrolier et la désindustrialisation massive.  Le chômage n’arrête pas de croître et le front national joue des coudes pour montrer du doigt l’immigration comme fautive de la crise. Même le nihilisme punk des années 70 a été balayé par la victoire du parti conservateur de Margaret Thatcher le 3 mai 1979. Le Ska Two Tone apparait comme le dernier exécutoire pour la jeunesse britannique.

Début 1981, les sept musiciens vont en studio à reculons et n’arrivent pas à trouver un accord commun. Ça se chamaille pendant trois semaine néanmoins ils accoucheront un ovni musical qui sera leur chef d’œuvre. Ghost Town, n’a rien de commun avec ce qu’avait entendu l’Angleterre auparavant : un orgue désuet indianisant, des voix fantomatiques, une basse dub aux accents jazzy et les spectres d’Enio Morricone qui reviennent à la charge. Avec une forme bâtarde oubliant le classique couplet/refrain/couplet, Ghost Town réussira à camper en haut des charts durant trois semaines.  John Peel disait que Ghost Town était une unique exception et jamais aucune autre chanson du même cru n’atteindra le firmament des ventes britanniques.         

Une gloire qui n’est pas due au hasard puisque le titre symbolise une certaine insurrection des classes populaires anglaises. La poudrière des banlieues explose en Avril 1981 à Brixton (55% de chômeurs). La mort d’un jeune jamaïcain provoquera la débandade à coups de voiture incendié et cocktails Molotovs. Puis ce sera au tour de Coventry de péter suite à l’assassinat d’une jeune Pakistanaise par des skinheads fafs. Et Ghost Town de devenir l’épitaphe d’une Angleterre malade. Pour illustrer la ritournelle, la formation noire et blanche tournera un vidéo clip dans la grande tradition du label Two Tone sur les routes désertes d'un Londres noctambule. Le voyage commence par les immeubles de la City puis traverse le Tunnel de Rotherhithe qui s’engouffre sous la Tamise avant de terminer sur les quais. Les semaines qui suivirent le tournage, Terry hall, Lynval Golding et Neville Staple quittaient le groupe pour former Fun Boys Three. 
 

Mais 30 ans après, Ghost Town est toujours célébré par Tricky, Damon Albarn, Lilly Allen et autre Dub Pistols. Même la regretté Amy Winehouse était venue se déhancher sur scène avec la reformation des rude boys lors du V. festival de 2009.
 

*AKA grammar boys selon le livre Original Rude Boy: From Borstal to The Specials: A Life in Crime & Music de Neville Staple