mercredi 3 août 2011

Wapping – Ghost Town


‘Vers les docks ou le poids et l'ennui me courbe le dos’ auraient pu chanter les Specials en tournant la dernière scène du vidéo clip de Ghost Town. C’est sur les quais de Wapping, à l’Est de Tower Bridge, que le groupe s’amuse à faire des ricochets sur Tamise histoire de conclure une nuit de tournage magique. La dernière parenthèse enchantée avant le hiatus du groupe. Ghost Town…30 ans déjà!



La principale force du groupe et éventuellement sa pire faiblesse, c’est son mélange détonnant de personnalités. Horace Gentlemen (basse), Terry Hall (chant) et John Bradbury représentent les anglais blancs issus de la classe moyenne*, Neville Staple (chant) le rude boy des rues, Lynval Golding (guitare) le jamaïcain emplie de sagesse et enfin Jerry Dammers, le génie ahurit, ultra politisé et artiste.


Si l’enregistrement du premier album roule comme sur des roulettes sous la direction d’un Dammers inspirés et avec Elvis Costello ultra motivé derrière les manettes ; le second LP, lui, croisera plus de conflits internes. ‘More Specials sonne comme un groupe qui se désagrège’ avoue Terry Hall lors d’une interview avec Uncut (Août, 2011). Les membres se font allégrement la nique et Jerry n’est pas le dernier pour pousser le bouchon. 1980, année épuisante pour le groupe et le claviériste se plait à demander des Hôtels de seconde zone lors des tournée aux Etats Unis, se trimbale dans les loges avec un ghetto-blaster jouant PIL à fond et commence à tourner le dos au ska pour s’intéresser au muzak. Terry hall, quand à lui, rêve de faire de la pop bubble gum et le bassiste Gentlemen s’enrôle dans la secte d’Exegesis. Autant dire que l’ambiance est morose au sein du groupe! Pour couronner le tout, le bonhomme de Lynval Golding se fait charger par des nazillons à la sortie du Hampstead Moonlight Club alors qu’il avait une fille blanche pour chaque bras. Par la suite, le guitariste jamaïcain écrira le titre Why ? ou il parle de la stupidité, du racisme et de la violence. Le titre figurera en face B du dernier single de The Specials : Ghost Town.

A l’image de The Specials, la santé du Royaume Unis est aussi convalescente.  1981, l’Angleterre est dézinguée par le second choc pétrolier et la désindustrialisation massive.  Le chômage n’arrête pas de croître et le front national joue des coudes pour montrer du doigt l’immigration comme fautive de la crise. Même le nihilisme punk des années 70 a été balayé par la victoire du parti conservateur de Margaret Thatcher le 3 mai 1979. Le Ska Two Tone apparait comme le dernier exécutoire pour la jeunesse britannique.

Début 1981, les sept musiciens vont en studio à reculons et n’arrivent pas à trouver un accord commun. Ça se chamaille pendant trois semaine néanmoins ils accoucheront un ovni musical qui sera leur chef d’œuvre. Ghost Town, n’a rien de commun avec ce qu’avait entendu l’Angleterre auparavant : un orgue désuet indianisant, des voix fantomatiques, une basse dub aux accents jazzy et les spectres d’Enio Morricone qui reviennent à la charge. Avec une forme bâtarde oubliant le classique couplet/refrain/couplet, Ghost Town réussira à camper en haut des charts durant trois semaines.  John Peel disait que Ghost Town était une unique exception et jamais aucune autre chanson du même cru n’atteindra le firmament des ventes britanniques.         

Une gloire qui n’est pas due au hasard puisque le titre symbolise une certaine insurrection des classes populaires anglaises. La poudrière des banlieues explose en Avril 1981 à Brixton (55% de chômeurs). La mort d’un jeune jamaïcain provoquera la débandade à coups de voiture incendié et cocktails Molotovs. Puis ce sera au tour de Coventry de péter suite à l’assassinat d’une jeune Pakistanaise par des skinheads fafs. Et Ghost Town de devenir l’épitaphe d’une Angleterre malade. Pour illustrer la ritournelle, la formation noire et blanche tournera un vidéo clip dans la grande tradition du label Two Tone sur les routes désertes d'un Londres noctambule. Le voyage commence par les immeubles de la City puis traverse le Tunnel de Rotherhithe qui s’engouffre sous la Tamise avant de terminer sur les quais. Les semaines qui suivirent le tournage, Terry hall, Lynval Golding et Neville Staple quittaient le groupe pour former Fun Boys Three. 
 

Mais 30 ans après, Ghost Town est toujours célébré par Tricky, Damon Albarn, Lilly Allen et autre Dub Pistols. Même la regretté Amy Winehouse était venue se déhancher sur scène avec la reformation des rude boys lors du V. festival de 2009.
 

*AKA grammar boys selon le livre Original Rude Boy: From Borstal to The Specials: A Life in Crime & Music de Neville Staple



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