mardi 18 janvier 2011

304 Holloway Road - RGM Sounds Studio

C’est dans cette modeste demeure que l’inénarrable Joe Meek vivait. Son mythique studio était situé sur trois étages, juste au-dessus de la maroquinerie tenue par sa propriétaire Mrs Shenton. L’histoire ahurissante de la pop anglaise mêlant légendes, chaos et génie commence ici.   

En 1960, après avoir été viré de son dernier appartement pour nuisances sonores, Joe réunis ses économies et monte son label indépendant: RGM Sounds (de ses véritables initiales Robert George Meek) et licencie l’exploitation de ses enregistrements à une major. Idée déjà martienne puisque les producteurs indés se faisaient rares et étaient tout sauf bienvenue dans le paysage anglais. Le tapage diurne continua donc au 304 Holloway road où le bonhomme installe son siège. Faut s’imaginer le premier étage avec kitchenette, chambre et bureau se transformant en salle d’attente au besoin, le second comprenait studio, salle des machines et débarras à instruments et enfin le troisième avait une chambre et salle à vivre.

Ajoutez à cela un ingénieur du son illuminé au caractère surexcité et bien trempé (voire parfois exécrable) et vous avez les ingrédients parfaits pour révolutionner l’époque. Là où Joe Meek se démarque est qu’il ne laisse personne lui dicter sa production ou même entrer dans sa cabine d’enregistrement. La raison? Protéger le secret de son écho magique bien sûr! Joe était parfaitement paranoïaque et pensait notamment que le label Decca l’espionnait et avait planqué des micros dans son appartement dans le but de lui voler ses idées. Elles étaient marginales et brillantes d’ailleurs.

Juillet 1961, le premier hit sort du studio. Johnny Remember Me chanté par John Leyton et écrit par Geoff Goddard est une ballade épique dominée par une réverbération venue d’outre-tombe. Réalisé dans des conditions précaires où un orchestre de chambre était parqué dans une minuscule salle de bain, une chanteuse lyrique donnait le la au troisième et le groupe plus Leyton dans le studio; tout ce beau monde enregistrait sur la même prise dans une incohérence Meekienne. Mais écoutez plutôt le résultat :  


Goddard et Meek faisait la paire aussi. Obstinés tous deux par les sciences occultes, ils s’en donnaient à cœur joie de faire leurs expérimentations en spiritisme. Obsédé par l’autre côté, Joe essayait fréquemment de rentrer en communication avec Buddy Holly, son idole. Pour la petite histoire, il partit au cimetière, une nuit, avec un enregistreur réglé à fond les ballons pour essayer de capter l’esprit du guitariste aux RayBan. Un échec, hélas.

Outre leurs expériences psychiques, Meek et Goddard écrivent les morceaux à quatre mains durant quatre années (de 1960 à 1964). Il en sortira des titres expérimentaux comme des tubes populaires. L’exemple même est Just Like Eddy de Heinz (1963), chanson mollassonne [qui a certainement inspiré le Rockollection de Voulzy] et nostalgique d’une période rockabilly qui se meurt dans ce Londres bientôt swinging. La légende voudrait que Meek ait mis à la poubelle la première maquette de The Beatles. Il est conté que leur manageur Brian Epstein voulait que les quatre de Liverpool enregistrent au 304 Holloway Road. La rançon de la gloire pour Meek, certainement.     

Mais Joe n’était pas pour autant arrièriste. Adepte du progrès, il s’en donnait à cœur joie lorsqu'il fallait se procurer de nouveaux instruments et autres bizarreries musicales de dernier cri. Comme ça, il acheta un clavioline qui sera l’acteur principal de son plus gros hit : Telstar. En 1962, trois semaines après le lancement du satellite, Meek est foudroyé par une mélodie qu’il met aussitôt en boite avec son groupe studio : The Tornados. Cet instrumental sera propulsé au panthéon de la pop anglaise et mis en orbite au top des ventes. Plus encore, Telstar fut le premier titre britannique à traverser l’Atlantique et squatter la première place des charts américains. Enregistré dans une maison-studio, Meek voit les majors verdir de rage et ses chevilles enfler considérablement. Délectez-vous du capharnaüm électrique et sonore en tout début de morceau. Typique des bidouillages de machines dont Meek avait l'habitude.
La deuxième partie de la décennie sixties s’annonce plus sombre. Alors que la Beatlemania, les Stones, les Kinks et touti quanti ont envahi l’Angleterre, Meek finira seul, sans avoir touché une royalty et complétement félé. En 1967, il tue sa propriétaire Mrs Sheton (qui venait lui quémander son loyer),  avant de se tirer une balle dans la tête. Joe Meek reste un personnage autant incompris qu’admiré dans le sillage de la pop anglaise. Jouant au funambule sur la frontière de la civilité et la folie, Meek ne fera aucune concession face à une industrie du disque naissante et affirmera son génie à plusieurs reprises. Chapeau bas.

Pochoir de Stewy - Holloway Road
Plus d'informations: Film : Telstar, de Nick Moran (2009)
Blog : http://www.joemeekpage.info/index.html

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